LES GUERRES EN SYRIE

janvier 2015

En Occident, on interprète généralement la crise syrienne comme un conflit avec les radicaux jihadistes voire, dans le meilleure des cas, comme une révolution qui aurait mal tourné. Mais fermant les yeux sur les aspects en apparence secondaires on simplifie le problème à l’excès perdant ainsi toute possibilité de lui trouver une issue. C’est cette complexité trop souvent oubliée que nous voulons évoquer dans cet article.

La Syrie, de par l’histoire et sa position géographique, se trouve sur les lignes sismiques de plusieurs conflits latents en voie d’exacerbation. C’est pourquoi la crise a pris une forme aussi violente.

Tout le monde a compris, qu’en mars 2011, des manifestations ont éclaté contre le régime tyrannique des Assad. Ces derniers confisquent en effet le pouvoir depuis 45 ans. La violence de la répression, contre des défilés pacifiques, provoqua des désertions croissantes de militaires puis la constitution d’unités armées passant à la rébellion.

Le premier pays à se sentir concerné par la probabilité d’un effondrement du régime des Assad est l’Iran. En effet, à Téhéran on se perçoit comme la tête d’un empire moyen oriental, héritier de celui des Achéménides, puis des Sassanides avant celui des Bouyides et des Safavides (1). On s’estime aussi le centre religieux du chiisme, pour les gens de cette tendance, l’islam authentique.

Or, d’une part, les Assad appartiennent à la secte des alaouites, groupe admis chiite par une fatoua (fatwa) (2) prononcée pour des raisons plus politiques que religieuses. D’autre part, ils sont alliés de l’Iran au Liban depuis la guerre civile dans ce pays. Pour Téhéran, la chute des Assad signifierait la perte d’une position associée à sa présence au Liban et la fin de la continuité territoriale entre ce pays, l’Irak, où il contrôle le gouvernement, et l’Iran d’où partent les ordres. C’est pourquoi l’Iran s’interpose contre la Révolution syrienne. Pour défendre l’arc irano-chiite.

Cependant, accentuant son intervention et sa présence en Syrie, l’Iran affole l’ensemble arabo-sunnite qui lui est historiquement hostile. L’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et le Qatar décident alors de soutenir la Révolution syrienne pour faire pièce à Téhéran.

Mais une autre tendance s’invite sur le terrain : celle des groupes jihadistes. D’une part Al-Nosra, inféodé à Al-Qaïda. D’autre part Daech, l’État islamique, dont des chefs, issus de la mouvance du défunt Oussama Ben Laden, ont été libérés des prisons des Assad dès les débuts de la Révolution. Un lecteur avisé de l’actualité comprend ces élargissements n’ayant rien à voir avec le hasard. Assad veut mettre de l’huile sur le feu. Faisant entrer ces barbares sur la scène, il compte jeter le discrédit sur les Révolutionnaires syriens.

Les pays arabes du Golfe ne voient pas le piège. Dominés par leur peur ancestrale de la résurgence de l’empire perse, ils alimentent alors les caisses des jihadistes. Jusqu’à ce que Daech, outre les exterminations de population auxquelles il procède, déclare le califat. En clair, il se prétend la seule autorité politique islamique légitime. De Riyad à Doha, c’est la panique. Plus question de jouer. On se rallie à « l’Alliance », un front de pays prêt à mobiliser une partie de leurs forces aériennes contre les jihadistes.

Moscou, de son côté, ne reste pas indifférent à la scène syrienne. Les Russes aspirent à retrouver la place de l’URSS au Moyen-Orient. Quoi de mieux pour cela que se montrer fidèle à l’égard d’un allié, la Syrie des Assad ? De plus, ils ont des intérêts dans ce pays, ne serait-ce qu’un marché d’armes et des facilités portuaires pour leur marine de guerre dans le port de Tartous, sur la Méditerranée ne faut-il pas oublier. Un changement de régime pourrait mettre à mal tout cela. D’où cette impression de retour à la guerre froide, Washington cherchant à barrer les ambitions de la Russie.

Cet entourage international ne suffisait sans doute pas au conflit syrien. Depuis le début, la Turquie, parée de « sublime ambiguïté », intervient aussi sur le terrain.

Il faut savoir Ankara portant en elle le souvenir de l’empire ottoman et se rêvant dominant à nouveau la région moyen-orientale. Elle nourrit aussi un sentiment de haine à l’égard des Assad, concurrents politiques auxquels les opposent en outre quelques différends territoriaux. Ceci explique que la Turquie finance une division de 8000 combattants syriens qui lui obéit mais est incluse dans l’ASL (3). Cette unité a pour mission de protéger une zone tampon entre la frontière turque et le reste de la Syrie, à la fois contre le régime des Assad mais aussi contre les radicaux islamistes de Daech.

Jusque-là, Ankara, membre de l’OTAN, semble dans une certaine cohérence. Et pourtant !

Au niveau des services de renseignements, sait-on, il existe une forte coopération entre la Turquie et Damas pour palier, il est vrai, à la rupture des relations diplomatiques. Ce n’est pas tout. Daech, malgré tout ennemi déclaré, se sert du territoire turc comme d’une base arrière pour ses approvisionnements, le passage de ses recrues étrangères, le traitement des blessés et la vente du pétrole qui lui permet de s’autofinancer. Tout cela aux vus et aux sus des services turcs...

Là ne s’arrêtent pas les contradictions de la Turquie. Hostile à Damas, elle entretient pourtant de bonnes relations avec l’Iran. Ce dernier considère du reste la tête de l’ancien empire ottoman son meilleur « ami » dans la région. À titre indicatif, la Turquie est le seul pays du monde dans lequel les Iraniens peuvent se rendre sans visa. Ces deux anciens empires frustrés n’en sont pas moins des concurrents pour la domination du Moyen-Orient.

Pour comprendre, il faut savoir la Turquie jouant sur plusieurs tableaux. Elle se veut laïque et européenne, leader du monde sunnite et même islamiste tout en n’étant pas arabe, préserver son alliance avec Israël tout en prétendant défendre les Palestiniens et protéger sa relation avec l’Iran, pourtant comme nous l’avons vu allié de Damas.

Difficile de faire mieux en matière de contradictions. D’où les choix tactiques d’Ankara difficiles à comprendre pour les Occidentaux. Surtout quand on ajoute la volonté des Kurdes de se donner un État aux dépens des Turcs, poussant alors ces derniers à miner la Révolution syrienne quand elle s’allie la minorité kurde.

En fait, il suffit de savoir les Turcs travaillant au renforcement de leur position et à un retour politique qui peut aller jusqu’à l’annexion de territoires voisins. Dans cet esprit, ils sont prêts à toutes les contorsions. On doit aussi voir la Syrie comme le champ clos d’une multitude de belligérants qui voudraient dépecer le pays.

Notes

(1) Respectivement : VIe au IVe siècles av. J.-C., IIIe au VIe siècles après J.-C. Xe au XIe siècles et XVIe au XVIIIe siècles.
(2) Avis religieux émis par l’imam Moussa Sadr.
(3) L’armée syrienne libre, la formation modérée en charge de la Révolution.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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