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En Occident, on interprète généralement la crise syrienne comme un conflit avec les radicaux jihadistes voire, dans le meilleure des cas, comme une révolution qui aurait mal tourné. Mais fermant les yeux sur les aspects en apparence secondaires on simplifie le problème à lexcès perdant ainsi toute possibilité de lui trouver une issue. Cest cette complexité trop souvent oubliée que nous voulons évoquer dans cet article. La Syrie, de par lhistoire et sa position géographique, se trouve sur les lignes sismiques de plusieurs conflits latents en voie dexacerbation. Cest pourquoi la crise a pris une forme aussi violente. Tout le monde a compris, quen mars 2011, des manifestations ont éclaté contre le régime tyrannique des Assad. Ces derniers confisquent en effet le pouvoir depuis 45 ans. La violence de la répression, contre des défilés pacifiques, provoqua des désertions croissantes de militaires puis la constitution dunités armées passant à la rébellion. Le premier pays à se sentir concerné par la probabilité dun effondrement du régime des Assad est lIran. En effet, à Téhéran on se perçoit comme la tête dun empire moyen oriental, héritier de celui des Achéménides, puis des Sassanides avant celui des Bouyides et des Safavides (1). On sestime aussi le centre religieux du chiisme, pour les gens de cette tendance, lislam authentique. Or, dune part, les Assad appartiennent à la secte des alaouites, groupe admis chiite par une fatoua (fatwa) (2) prononcée pour des raisons plus politiques que religieuses. Dautre part, ils sont alliés de lIran au Liban depuis la guerre civile dans ce pays. Pour Téhéran, la chute des Assad signifierait la perte dune position associée à sa présence au Liban et la fin de la continuité territoriale entre ce pays, lIrak, où il contrôle le gouvernement, et lIran doù partent les ordres. Cest pourquoi lIran sinterpose contre la Révolution syrienne. Pour défendre larc irano-chiite. Cependant, accentuant son intervention et sa présence en Syrie, lIran affole lensemble arabo-sunnite qui lui est historiquement hostile. LArabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et le Qatar décident alors de soutenir la Révolution syrienne pour faire pièce à Téhéran. Mais une autre tendance sinvite sur le terrain : celle des groupes jihadistes. Dune part Al-Nosra, inféodé à Al-Qaïda. Dautre part Daech, lÉtat islamique, dont des chefs, issus de la mouvance du défunt Oussama Ben Laden, ont été libérés des prisons des Assad dès les débuts de la Révolution. Un lecteur avisé de lactualité comprend ces élargissements nayant rien à voir avec le hasard. Assad veut mettre de lhuile sur le feu. Faisant entrer ces barbares sur la scène, il compte jeter le discrédit sur les Révolutionnaires syriens. Les pays arabes du Golfe ne voient pas le piège. Dominés par leur peur ancestrale de la résurgence de lempire perse, ils alimentent alors les caisses des jihadistes. Jusquà ce que Daech, outre les exterminations de population auxquelles il procède, déclare le califat. En clair, il se prétend la seule autorité politique islamique légitime. De Riyad à Doha, cest la panique. Plus question de jouer. On se rallie à « lAlliance », un front de pays prêt à mobiliser une partie de leurs forces aériennes contre les jihadistes. Moscou, de son côté, ne reste pas indifférent à la scène syrienne. Les Russes aspirent à retrouver la place de lURSS au Moyen-Orient. Quoi de mieux pour cela que se montrer fidèle à légard dun allié, la Syrie des Assad ? De plus, ils ont des intérêts dans ce pays, ne serait-ce quun marché darmes et des facilités portuaires pour leur marine de guerre dans le port de Tartous, sur la Méditerranée ne faut-il pas oublier. Un changement de régime pourrait mettre à mal tout cela. Doù cette impression de retour à la guerre froide, Washington cherchant à barrer les ambitions de la Russie. Cet entourage international ne suffisait sans doute pas au conflit syrien. Depuis le début, la Turquie, parée de « sublime ambiguïté », intervient aussi sur le terrain. Il faut savoir Ankara portant en elle le souvenir de lempire ottoman et se rêvant dominant à nouveau la région moyen-orientale. Elle nourrit aussi un sentiment de haine à légard des Assad, concurrents politiques auxquels les opposent en outre quelques différends territoriaux. Ceci explique que la Turquie finance une division de 8000 combattants syriens qui lui obéit mais est incluse dans lASL (3). Cette unité a pour mission de protéger une zone tampon entre la frontière turque et le reste de la Syrie, à la fois contre le régime des Assad mais aussi contre les radicaux islamistes de Daech. Jusque-là, Ankara, membre de lOTAN, semble dans une certaine cohérence. Et pourtant ! Au niveau des services de renseignements, sait-on, il existe une forte coopération entre la Turquie et Damas pour palier, il est vrai, à la rupture des relations diplomatiques. Ce nest pas tout. Daech, malgré tout ennemi déclaré, se sert du territoire turc comme dune base arrière pour ses approvisionnements, le passage de ses recrues étrangères, le traitement des blessés et la vente du pétrole qui lui permet de sautofinancer. Tout cela aux vus et aux sus des services turcs... Là ne sarrêtent pas les contradictions de la Turquie. Hostile à Damas, elle entretient pourtant de bonnes relations avec lIran. Ce dernier considère du reste la tête de lancien empire ottoman son meilleur « ami » dans la région. À titre indicatif, la Turquie est le seul pays du monde dans lequel les Iraniens peuvent se rendre sans visa. Ces deux anciens empires frustrés nen sont pas moins des concurrents pour la domination du Moyen-Orient.
Difficile de faire mieux en matière de contradictions. Doù les choix tactiques dAnkara difficiles à comprendre pour les Occidentaux. Surtout quand on ajoute la volonté des Kurdes de se donner un État aux dépens des Turcs, poussant alors ces derniers à miner la Révolution syrienne quand elle sallie la minorité kurde. En fait, il suffit de savoir les Turcs travaillant au renforcement de leur position et à un retour politique qui peut aller jusquà lannexion de territoires voisins. Dans cet esprit, ils sont prêts à toutes les contorsions. On doit aussi voir la Syrie comme le champ clos dune multitude de belligérants qui voudraient dépecer le pays. (1) Respectivement : VIe au IVe siècles
av. J.-C., IIIe au VIe siècles après J.-C. Xe au
XIe siècles et XVIe au XVIIIe siècles. |
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