D'abord concernant l'aspect visuel.

On voit Zarqaoui, la poitrine bardée de cartouchières, tirant sans discontinuer au fusil automatique dans le désert. C'est une image à la Rambo, en accord avec son profil de chef de bande. On voit aussi qu'il a beaucoup grossi par rapport aux photos disponibles datant de plusieurs années. Cela signifie qu'il jouit d'une sécurité relative et ne manque de rien. Ce n'est pas l'aspect physique d'un guérillero en alerte, réduit à des déplacements fréquents et obligé à des efforts physiques.

 

Ahmad Nazzal Fadel al Khalayla alias Abou Moussab Al Zarqawi (Zarkaoui), en Irak au mois d'avril 2006.

Le lieu choisi pour tourner le film est parlant : il correspond au relief plat et au sol sablonneux où l'on ne voit que touffes d'herbe sèche et épineux, du désert qui s'étend de la Jordanie à l'Euphrate. On se serait attendu, compte tenu de la réputation guerrière de Zarqaoui, à le voir dans un combat, menant l'assaut contre les forces américaines. Or il est là, brûlant quelques cartouches en plein désert, hors d'atteinte de ses ennemis. Il y a dans cette mise en scène quelque chose de décalé, qui révèle la détermination de Zarqaoui à s'éviter des risques trop grands.

Plus généralement, on observe dans cette vidéo la volonté de Zarqaoui de reproduire le comportement d'Oussama Ben Laden, par ses propos et sa manière de se tenir. Pendant un long moment, en particulier, il est filmé assis sur le sol d'une maison, un kalachnikov à canon court, comme celui de Ben Laden, posé contre le mur et à portée de main. On avait vu les mêmes images du chef d'Al Qaïda en 2001, peu après l'attaque occidentale contre l'Afghanistan.

On remarque une séquence pendant laquelle une fusée montée sur un bipied est tirée. Cela est présenté comme une innovation "technologique" du groupe de Zarqaoui. Il s'agit en fait d'une arme rudimentaire de fabrication artisanale du même niveau que les roquettes "Al Qassam" tirées par les gens d'Hamas dans la bande de Gaza. Comme les photos à la Rambo décrite plus haut, cela trahit une certaine naïveté de la part de Zarqaoui et de ses hommes.

Dernier point notable, Zarqaoui paraît à visage découvert, vêtu de noir, comme la quinzaine d'hommes que l'on voit, qui sont eux tous masqués et lui servent de garde d'honneur.

Ensuite concernant ses propos :

Le nom de la fédération d'organisations à laquelle il appartient désormais s'appelle, d'après le logo visible sur l'image, " Majlis Choura Al-Moujahidine fil Irak " (2)

Il n'y a rien de nouveau ou d'étonnant dans le discours par rapport aux textes connus de Zarkaoui. Il fustige le nouveau gouvernement irakien, créé dit-il pour tirer George W. Bush de l'embarras, et dénonce les " kurdes laïcs sionistes, " les " rafida " (terme péjoratif pour désigner les chiites) et les oulémas sunnites qui ont accepté le processus électoral.

Il menace les hommes tentés d'incorporer les forces irakiennes et dénie toute légitimité au Parlement qui, selon lui, ne se réfère pas à la charia (loi islamique).

Enfin, un enregistrement des propos de Ben Laden publiés le 7 mai 2004, est surajouté au film. Avec le rappel du titre de Zarqaoui " d'émir d'Al Qaïda en Irak, " ceci est destiné à établir sa " légitimité. "

Le témoignage d'un combattant, relatant les attaques effectuées par leur groupe pendant la visite de Condoleezza Rice à Bagdad, le 3 avril 2006, permet d'établir qu'il s'agit d'un enregistrement récent (3).

Zarqaoui n'en parle pas ici. Mais dans un enregistrement précédent il a critiqué le groupe du " Comité des Oulémas musulmans en Irak, " une organisation sunnite présidée par Hareth Al-Dhari (4). Cette organisation est la plus importante structure religieuse sunnite en Irak. Elle avait dénoncé, au cours de l'été 2004, l'assassinat d'un jeune américain du nom de Nicholas Berg (5).

D'abord, cet enregistrement nous apparaît authentique et récent. Nous remarquons en outre que jamais Zarqaoui ne s'était jusqu'ici ainsi révélé aux yeux du public.

Trois raisons pourraient, selon nous, expliquer la publication de cette cassette vidéo à la date choisie :
- Ou, rejeté par le " Comité des Oulémas musulmans en Irak, " ainsi isolé sur le terrain, Zarqaoui veut promouvoir son image.
- Ou, en compétition avec les lieutenants de Ben Laden, principalement avec Ayman Al-Zawahiri, il cherche à se grandir aux yeux de l'opinion.
- Ou, Zarqaoui ayant disparu de la scène médiatique depuis plusieurs mois, ses ennemis auront cherché à braquer les feux de l'actualité sur lui pour donner un visage au " terrorisme. "

Cette dernière hypothèse est crédibilisée par le choix du canal d'information utilisée : " Al Jazeera, " une télévision qui transmet les enregistrements qu'elle reçoit aux Américains avant diffusion.

Alain Chevalérias

(1) Voir la " Traduction de la lettre d'Abou Mohammad Al-Maqdessi à Abou Moussab Al Zarqaoui" (11.10.2005),

et l'article " Qui est Zarqaoui ? Profil et biographie. "

(2) Le " Majlis Choura Al-Moujahidine fil Irak " est une fédération de six groupes d'opposants armés à l'occupation, créée en janvier 2006 et commandée par un Irakien connu sous le nom de Abdallah Rachid Al-Baghdadi. Le groupe d'Abou Moussab Al-Zarqaoui en est membre.

(3) Pour dénoncer ce voyage du 3 avril 2006, l'opposition armée en Irak avait effectué plusieurs attaques et tué neuf soldats américains.

(4) Voir " Interview de Mohammad Ayache Al-Kobeissi. "

(5) Cet assassinat d'un otage âgé de 26 ans, par décapitation, a été filmé et publié. Le groupe de Zarqaoui a exécuté ce crime en mai 2004.