" Les Iraniens doivent être les artisans du changement... "

HOUCHANG NAHAVANDI

Ministre sous Mohammad Reza Pahlavi

 

 Houchang Nahavandi, ancien recteur des universités de Chiraz et Téhéran a été ministre du Développement de 1964 à 1968 et de l'Enseignement supérieur de septembre à octobre 1978. Il a écrit " Iran, deux rêves brisés " (Albin Michel), " Le Dossier noir de l'intégrisme islamique " (Nouvelles Éditions Debresse), " Le Voile déchiré de l'islamisme " (Première ligne) et, avec Yves Bomati, " Shah Abbas, empereur de Perse " (Perrin), couronné par l'Académie française en 1999, et " Révolution iranienne, vérité et mensonges " (L'Age d'Homme). Il vit à Bruxelles où il s'est installé quittant l'Iran après la Révolution.

Alain Chevalérias: Quelle est votre analyse de la situation en Iran ?

Houchang Nahavandi : Pendant plusieurs années, on a amusé l'opinion et abusé l'étranger avec le Président proclamé réformateur, M. Khatami. Or Khatami n'a pas entamé la moindre réforme. Néanmoins, depuis un an ou un an et demi, la presse internationale ne lui attribue plus ce titre de " réformateur. " C'est déjà un acquis. Les Iraniens sont pourtant avides de réformes.

A.C. : Quelles réformes souhaitent-ils ?

H. N. : D'abord la dissolution des Tribunaux révolutionnaires. Ensuite la réorganisation, sinon le démantèlement des très nombreuses milices. Enfin la liquidation des fondations, états dans l'Etat qui gèrent 60% de l'économie iranienne au profit des clans du système clérical.

A.C. : L'Iran se dote-t-il de l'armement nucléaire ?

H. N. : On se le demande souvent. Pour une fois, il faut écouter les dirigeants iraniens, ils ne disent pas non, à l'inverse de Saddam Hussein que personne n'a cru. A mes yeux, il est probable que l'Iran soit en train de se doter de l'arme nucléaire. Cela dit, ce n'est pas une faute en soi. Comment en effet condamner l'Iran quand Israël, le Pakistan ou l'Inde détiennent l'arme nucléaire sans que personne ne trouve rien à y redire. Ce qui m'inquiète, c'est la possession d'armes nucléaires par le régime actuel.

A.C. : Croyez-vous l'Iran représenter une menace nucléaire pour les autres pays ?

H. N. : Quand on dit que l'Iran pourrait attaquer Israël ou l'Arabie Saoudite, on se trompe totalement. Les dirigeants iraniens sont sans doute des criminels mais ce ne sont pas des fous. Ils savent qu'attaquer Israël ou l'Arabie Saoudite déclencherait des ripostes énormes qui détruiraient l'Iran et son régime. Ils veulent l'arme nucléaire pour se sanctuariser, pour devenir intouchables comme le fait la Corée du Nord. Il faut réagir contre ce danger là.

A.C. : Que faut-il faire ?

H. N. : Déclencher une guerre contre l'Iran à la manière irakienne ? C'est un vaste pays, grand comme trois fois la France. Il dispose d'une armée pas très moderne, mais nombreuse. Surtout, les Iraniens sont des patriotes. Pour attaquer l'Iran, il faudrait un million de soldats et s'engager dans un conflit autrement plus important que celui déclenché contre l'Irak. Autre option, effectuer des frappes chirurgicales contre une quarantaine de sites nucléaires ? Cela provoquerait une réaction nationaliste et prolongerait le régime pour dix ans sinon plus. Pour moi, il faut aider les Iraniens à se débarrasser du régime au pouvoir ou parvenir à le faire évoluer. Parce qu'un régime rénové, débarrassé comme je l'ai dit des Tribunaux révolutionnaires, des milices et des fondations, abandonnerait toute ambition nucléaire militaire. Surtout, séparant le religieux du politique, il répondrait aux attentes des Iraniens.

A.C. : Sous quelle impulsion le régime peut-il donc changer ?

H. N. : Les Iraniens doivent être les artisans de ce changement, mais avec le soutien international. Je parle d'un soutien politique, surtout politique, médiatique et, dans une certaine mesure, économique. Il faudrait que l'Europe cesse, pour des raisons aberrantes, de soutenir le régime de Téhéran. J'aimerais insister sur un point. Si, les Américains sont impopulaires dans beaucoup de pays de la région et l'ont été aussi en Iran pour avoir soutenu Khomeiny à s'emparer du pays, aujourd'hui ils bénéficient d'un mouvement de sympathie à leur égard. C'est une conséquence secondaire et inattendue de la politique du président George W. Bush.

A.C. : Pratiquement, cependant, quels moyens préconisez-vous d'utiliser pour susciter cette évolu-tion ou ce changement du régime ?

H. N.: Les radios et les télévisions iraniennes qui diffusent à partir de la Californie sont captées par des millions d'Iraniens. Elles ont une influence considérable sur la population à l'intérieur de l'Iran. Il faut les soutenir plutôt que d'engager la moindre action militaire.

A.C. : Les Moujahidine-e-Khalq sont-ils une alternative au régime ?

H. N. : Non ! Les Moujahidine-e-Khalq sont un mouvement d'action violente. On disait déjà terroriste sous le Shah. C'était l'époque d'Action Directe, de la fraction Armée Rouge et d'autres. Ils ont la même structure et le même discours que tous les mouvements qui se disaient anti-impérialistes. Ils étaient des admirateurs de Pol Pot. Ensuite, ils ont participé à la révolution islamique. Pour moi, ils ont été les " passeurs " de la Révolution pen-dant les deux premières années. Puis Khomeiny s'étant retourné contre eux, ils se sont alliés aux Irakiens, pays alors en guerre contre l'Iran. Les Iraniens n'oublieront jamais cela. Voilà pourquoi, les Moujahidine jouissent de très très peu de crédit à l'intérieur de l'Iran. C'est un euphémisme de le dire. Aussi, pour ma part, je ne les crois pas capables de devenir une alternative au régime actuel. Pire, ce serait, à mes yeux, tomber de Charybde en Scylla.

A.C : Comment les voyez-vous évoluer aujourd'hui ?

H. N. : Il semblerait que l'on soit en train de les instrumentaliser, je parle au conditionnel, pour s'en servir contre le régime de Téhéran. Dans certains milieux politiques américains on essaie de créer un tandem entre le prince Reza, héritier légitime du trône, et l'ultra-gauche iranienne dont font partie les Moujahidine. Cette manoeuvre discréditera le prince Reza. Un tel projet est une fiction de l'esprit fabriquée par des ignorants de la réalité iranienne. Cela me coûte, mais je dois dire que l'attitude américaine sera déterminante. Pas forcément mauvaise, mais déterminante pour l'avenir de l'Iran.

A.C : Que faire avec les Moujahidine-e-Khalq aujourd'hui regroupés en Irak et à Auvers-sur-Oise, en France ?

H. N. : Certes, pour la majorité d'entre eux, ce ne sont pas des criminels. Il faut les laisser vivre si leurs comportements sont en conformité avec les lois. Je suis très pragmatique. Si les Moujahidine veulent créer un parti politique, pourquoi pas ? S'ils tiennent un discours convenable, et non pas ces généralités débitées à l'intention des étrangers, qu'ils aillent en Iran pour avoir une activité politique.

A .C : Quand Abdallah Öcalan a été arrêté en Turquie, certains de ses partisans se sont suicidés par le feu pour obtenir la libération de leur chef. D'après d'anciens Moujahidine-e-Khalq, Maryam Rajavi, parlant devant ses troupes, a alors dit : " Si vos chefs sont retenus en prison, il faut que vous fassiez la même chose. Il faut aussi que vous tuiez les gens qui travaillent contre les Moujahidine en Occident "

H. N. : Cela ne tombe-t-il pas sous le coup de la législation pour incitation au meurtre ?

A.C : Croyez-vous qu'il soit raisonnable de combattre le terrorisme de la manière dont s'y prennent les Américains ?

H. N. : Pour tarir les sources du terrorisme islamiste, il faudrait régler d'une manière politique satisfaisante les deux principaux foyers de celui-ci : d'une part la Palestine, de l'autre l'Irak. Pour la Palestine, il semble que l'on s'oriente vers une solution avec la création d'un Etat palestinien. Prions pour que cela se réalise... (fait par Alain Chevalérias pour le Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001 à Bruxelles le 9 février 2005)

LE DERNIER LIVRE D'HOUCHANG NAHAVANDI

Livre de Houchang Nahavandi  Carnets secrets , chute et mort du Shah

" CARNETS
SECRETS,
CHUTE
ET MORT
DU SHAH "

(2ème édition revue et augmentée)
Par Houchang Nahavandi
Editions Osmondes

Houchang Nahavandi, en homme d'honneur, est resté fidèle au Shah jusque sur les chemins de l'exil. Mieux qu'un autre, il a le droit d'observer cette période critique d'un oeil sévère.

Sans complaisance, il nous dresse le tableau de la cour impériale. Avec tact, il passe rapidement sur les faiblesses de certains pour mettre, d'autres, le dévouement en valeur.

Mais une question demeurait mal résolue : pourquoi et comment le pays a-t-il pu tomber aussi aisément aux mains de l'Imam Khomeiny ?

Nahavandi explique. En 1966, déjà, " l'Iran commençait à diversifier progressivement ses sources d'approvi-sionnement en armes et équipements militaires... Il avait même commencé à se doter d'une industrie nationale d'armement, l'objectif affiché étant d'atteindre dans ce domaine le niveau israélien... La CIA y voyait un signe de dangereuse mégalomanie... "

Plus grave sans doute aux yeux de Washington, pendant la guerre du Kippour (octobre 1973) " le Shah autorise des avions de transport lourd soviétiques à franchir l'espace aérien iranien pour acheminer des équipements militaires vers Le Caire et ignore les protestations de Washington et Tel-Aviv. " Ces deux capitales ne le lui pardonneront jamais.

Et là viennent une accumulation d'indices. Sous Kennedy, selon Nahavandi, " la Maison Blanche avait déjà envisagé un projet de coup d'État, par le général Teymour Bakhtiar, alors chef de la Savak... "

En 1974, Henry Kissinger déclare devant le " Conseil national américain de sécurité " : " Le Shah doit changer de politique ou on doit le changer. "

Alexandre de Marenches confirmera au Shah le souhait américain de le faire renverser. Celui-ci se refusera à le croire. " Il serait stupide de me remplacer ! Je suis le meilleur défenseur de l'Occident dans cette région du monde... "

Hussein de Jordanie lui confia même au début de l'automne 1978 : " Ce que les Américains sont en train de faire en Iran, ils l'avaient essayé avec moi en 1973 (épisode dit de Septembre noir). J'ai tenu bon, écrasé la subversion et ils ont fini par négocier avec moi... "

Et là, tout se résume en quelques mots : " Je ne voulais pas faire verser le sang de mon peuple, " confia l'empereur en exil à l'auteur du livre.

Dans les jours qui suivent le départ du Shah de l'Iran, l'ambassade des Etats-Unis prépare l'accueil de Khomeiny. La France elle aussi se prête à l'affaire. Son ancien ambassadeur en Iran, François-Charles Roux dira : " Enfin, avec Khomeiny, nous allons avoir la stabilité en Iran. "

Ce livre, de fidélité et cependant de raison, permet mieux que beaucoup d'autres de comprendre. A lire à tout prix pour se faire une idée sur une révolution aux conséquences politiques considérables.

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