Alain Chevalérias et Badih Karhani : Quel est l'état des relations entre la Syrie et le Hezbollah aujourd'hui ? Cheikh Naïm Qassem : Elle sont bonnes parce qu'elles ne reposent pas sur des intérêts de circonstances mais sur une vision stratégique commune au Hezbollah et à la Syrie. Les deux partis estiment qu'ils font face à un problème complexe, l'occupation israélienne. Ils croient que les solutions proposées ne sont pas bonnes parce qu'elles ne tiennent pas compte des droits des Palestiniens et ne prévoient pas la restitution de leurs terres aux Arabes. Les deux partis croient aussi que les résistances libanaise ou palestinienne exercent un droit légitime face à l'occupation. Cela n'a pas changé avec le départ de la Syrie du Liban et notre analyse n'est pas affectée en ce qui concerne nos objectifs communs. A.C. : Craignez-vous que les pays européens ne mettent le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes ? Naïm Qassem : Dans les faits l'Union Européenne pratique à l'égard du Hezbollah la politique de la carotte et du bâton. Elle maintient la pression sur le Hezbollah afin de l'influencer. Je sais aussi que les Américains et les Israéliens exercent une forte pression sur les Européens pour obtenir d'eux l'inscription du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes. Nous savons très bien cette décision relevant du domaine théorique et sans implication sur le plan matériel. Néanmoins, j'espère que les Européens garderont des positions en harmonie avec leurs intérêts et les nôtres. Je souhaite qu'ils ne prennent pas, à l'encontre de la résistance, une décision contraire aux Droits de l'homme les plus élémentaires. Eux aussi ont été des résistants à l'occupation étrangère. De plus, le Hezbollah jouit d'une popularité considérable au Liban et dans la région. Les Européens seraient perdants s'ils adoptaient une position aussi injuste. A.C. : Des pays européens vous ont-ils donné des garanties verbales ? Naïm Qassem : En fin de comptes, les Européens fonctionnent sur la base de leurs intérêts. Dans ce genre de chose, je ne pense pas que l'éthique joue un rôle de premier plan. La France, pays le plus en vue, essaie me semble-t-il de garder les points sensibles dans le flou pour empêcher la rupture. Elle travaille à garder des canaux de dialogue ouverts avec le Hezbollah. Certains pays européens partagent cette approche avec la France. Ceci pour une raison simple : ils savent que leurs intérêts politiques et leurs relations avec le Moyen-Orient souffriraient d'un climat d'animosité entre eux et ces forces très, très populaires. Se mettant dans une telle position, comment feraient-ils pour garder pied dans la région sinon, en utilisant le portail israélien contre les choix populaires. Néanmoins, je le sais bien, la France a cru agir de manière équilibrée, donnant des gages à Israël en fermant la chaîne de télévision Al-Manar (1). En contrepartie, elle a pesé de son poids afin d'empêcher l'inscription du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes. Mais la position française aurait dû être meilleure et la problématique d'Al Manar aurait pu être traitée comme un signal de gestion positive de la relation entre le Hezbollah et l'Occident. A.C. : Quelles sont pour vous, le Hezbollah, les conditions d'une cessation des hostilités avec Israël ? Naïm Qassem : Le Hezbollah est une résistance et la résistance ne prend pas l'initiative des actions, la résistance est une réaction face à une occupation. Pour que la résistance cesse il faut que sa cause, l'occupation, disparaisse. Par occupation j'entends celle pratiquée par Israël, l'accaparement des terres palestiniennes, libanaises et syriennes. A.C. : Considérez-vous le territoire concédé par les Nations unies à Israël comme occupé? Naïm Qassem : Pour nous, qu'il s'agisse des terres de 1948 ou de celle de 1967 (2), il n'y a pas de différence parce qu'Israël est né aux dépens des droits palestiniens. Pour nous, tous ces territoires sont occupés. A.C. : Le Hezbollah est donc pour la disparition de l'Etat d'Israël... Naïm Qassem : Nous considérons Israël comme une présence anormale et malsaine dans la région. Des juifs vivaient autrefois en Palestine. Ils sont des citoyens de ce pays et ont le droit d'y demeurer. Ceux qui sont venus d'ailleurs sont supposés rentrer chez eux. A.C. : Vous êtes donc pour l'existence d'un Etat palestinien multi-communautaire et multi-religieux mais vous refusez l'existence d'un Etat juif... Naïm Qassem : Nous sommes pour l'existence d'un Etat palestinien englobant tous les Palestiniens, qu'ils soient musulmans, chrétiens ou juifs. Cela ne nous concerne pas mais, l'important à nos yeux est qu'ils soient tous citoyens palestiniens. Nous sommes contre l'existence d'un Etat Israélien qui aliène les droits des Palestiniens. A.C. : Considérez-vous le territoire palestinien et le territoire israélien comme une zone d'opération militaire pour le Hezbollah ? Naïm Qassem : En pratique le peuple palestinien est maître de la décision. Mais nous savons que l'Intifada ne fait pas de différence entre ces régions et qu'elle mène le combat dans toutes les régions de la Palestine occupée. A.C. : Mais, vous le Hezbollah, considérez-vous ces territoires comme des zones opérationnelles pour vos hommes ? Naïm Qassem : Les opérations militaires sur le territoire palestinien relèvent du droit naturel du peuple palestinien. Nous n'avons pas à nous substituer à eux. A.C. : Cela veut-il dire que le Hezbollah n'effectue aucune opération sur les territoires que vous appelez palestiniens ? Naïm Qassem :Nous soutenons les Palestiniens, les approuvons et nous tenons à leurs côtés, mais nous ne prétendons pas avoir une organisation du Hezbollah ou des membres du Hezbollah à l'intérieur de la Palestine. Le peuple palestinien est la seule force opérant. A.C. : Soutenez-vous militairement les Palestiniens ? Naïm Qassem (riant) : D'habitude nous ne parlons pas de la nature du soutien accordé aux Palestiniens. Nous nous contentons de dire que nous sommes à leurs côtés et les soutenons avec les moyens dont nous disposons et que nous estimons adéquats. Les détails ne sont pas importants et ne sont pas destinés à la diffusion dans les médias. A.C. : Concernant les Palestiniens vivant au Liban. Etes-vous partisans de leur accorder la nationalité libanaise ? Naïm Qassem : Nous sommes contre car nous défendons leur droit au retour en Palestine. D'un autre côté, il faut leur assurer les droits civils et humains reconnus à n'importe quel résident au Liban. C'est une autre affaire. A.C. : Que représente le cheikh Mohamed Hussein Fadlallah (3) pour le Hezbollah ? Naïm Qassem : Sayyed Fadlallah est un grand " aalem "(4) parmi les oulémas chiites. Normalement les oulémas chiites jouissent d'une position prépondérante, sur les plans culturels et spirituels. Mais ils ne forment pas d'organisations et n'interfèrent pas directement dans le travail des partis. Quant au Hezbollah, c'est une organisation complète avec ses responsables et ses prises de positions. Avec Sayyed Fadlallah, nous nous percevons comme collaborateurs et nous entendons bien ensemble. Un respect mutuel domine nos relations et nous pouvons presque dire de nos lignes politiques générales, qu'elles sont semblables. A.C. : Je remarque que vous n'avez pas employé le mot " marjaa " (5) pour qualifier le cheikh Fadlallah. Est-ce volontaire ? Naïm Qassem : Nous avons nos propres engagements à l'égard d'un " marjaa " qui est le Guide, Sayyed Ali Khamenei (6). Vous en verrez d'autres s'attachant à d'autres " marjaa. " C'est leur droit. A.C. : comment est-ce que vous voyez la collaboration possible entre les différentes communautés du Liban, quand vous êtes en faveur de la suppression du système communautaire ? Naïm Qassem : Le Liban est un cas unique dans son genre. Toutes les communautés parlent de la nécessité de bonnes relations mais sans s'en donner les moyens. Aussi, à chaque virage (politique) il y a des secousses résultat des considérations négatives. Nous avons besoin au Liban d'une bonne coordination entre les communautés. Nous avons tous besoin les uns des autres et ce pays appartient à tout le monde et pas seulement à une communauté. A.C. : Voulez-vous dire par là que le nationalisme libanais doit s'imposer sur les identités communautaires ? Naïm Qassem : Nous devons permettre à l'identité nationale de s'imposer sur les autres identités. Il faut que la loi règne afin que nous nous n'ayons qu'une seule référence. Qu'à la moindre tension l'appartenance au groupe communautaire ne soit pas une raison d'attiser les querelles. A.C. : Bien, mais le Hezbollah est un parti religieux musulman. Pour vous, il n'existe pas de différence entre les domaines politiques et religieux. Votre interprétation dogmatique des choses n'est-elle pas en opposition avec la notion d'unité de la population libanaise ? Naïm Qassem : Le Hezbollah a 23 ans d'expérience, depuis sa fondation en 1982. Il a un projet islamique, son titre est islamique et il affirme que la religion est la base de sa démarche. Mais il a aussi mis sur pied une résistance nationale et jouit du soutien de tout le monde. L'orientation religieuse du Hezbollah n'a pas de conséquence négative sur son nationalisme, au contraire. Tous les partis oeuvrent avec lui et il dialogue et collabore avec eux. Le Hezbollah ne se barricade pas derrière la religion pour étiqueter les gens. Ses convictions se basent sur les enseignements religieux en matière d'éthique, de choix politiques et d'humanisme. Elles ne sont pas en porte à faux avec l'idée de construction du Liban. S'il existe des divergences sur des points de détail, cela n'affecte pas nos relations avec les autres. C'est du moins l'enseignement que nous tirons de notre expérience. A.C. : Peut-être, mais dans le fond vous souhaitez l'instauration d'une République islamique au Liban... Naïm Qassem : Certes, nous croyons en cela mais nous ne voulons pas l'imposer aux autres. Si les autres composantes de la société libanaise n'y croient pas nous pouvons nous mettre d'accord avec elles sur des points de convergence. A chaque étape, nous avons une solution pour nous entendre avec les autres. Où est le mal si nous avons une foi idéale, que nous croyons la meilleure, tant que nous ne cherchons pas à l'imposer aux autres ?
(1) La chaîne de télévision
du Hezbollah. Depuis le 13 décembre 2004, le satellite Eutelsat ne
retransmet plus pour Al-Manar sur ordre des autorités
françaises.
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