DES FRANÇAIS EN SYRIE |
juin 2014
Jai effectué un déplacement
en Turquie dans le courant du mois de mai. A cette occasion,
jai rencontré lune des personnes qui a oeuvré
à la libération des quatre otages français,
Didier François, Édouard Élias, Nicolas
Hénin et Pierre Torres, capturés en Syrie pour
les premiers en juin 2013. Cet homme, un Syrien du nom de Wael
Al Khalidy (Wael Khalidi) , est lun des responsables de
la « Syrian Relief Commission » (Commission
syrienne de secours) qui assure une aide humanitaire aux populations
en situation de précarité à lintérieur
de la Syrie. Il est aussi le fondateur du Harakat Souriyyoun,
ou Mouvement des Syriens, qui cherche à regrouper tous
les Syriens sans distinction de confession ou dethnie.
Il nous a longuement parlé de son action pour obtenir
la libération de François et Élias. « Comme je suis intervenu dans lexfiltration dÉdith Bouvier (2) et pour obtenir la libération de plusieurs Occidentaux pris en otages en Syrie, à la capture de Didier François et dEdouard Élias, des amis de Didier François mont demandé daider afin de les retrouver et douvrir un canal de négociations... » En fait, Wael, de par ses activités humanitaires, se trouve à la tête dun réseau présent sur tout le territoire syrien, principalement dans les régions contrôlées par lopposition au régime des Assad. Suite à la demande, il sest alors rendu à Ghazi Antab, ville frontière turque où sentassent les réfugiés, qui sert de zone de transit vers la Syrie. Activant ses réseaux, au bout de quelques jours il a appris par un médecin que quelquun souffrait dun problème à la jambe à Alep. Cela a attiré son attention, Didier François ayant été blessé sur cette partie du corps au cours dun reportage. Il a alors décidé de concentrer ses recherches sur Alep. « Nous avons eu un moment despoir, nous confie notre interlocuteur. Un homme se réclamant de Daech (EIIL) était prêt à nous aider à retrouver Didier François contre une rémunération. Il nous a même donné des détails sur la capture des deux Français. Jai alors envoyé quelquun pour le rencontrer, mais brusquement, linformateur a disparu. Renforçant encore les difficultés, au bout de quatre mois, Nicolas Hénin a été capturé à son tour. Jai alors demandé à mes amis au Liban, dont le correspondant de France 24, à me mettre en relation avec les autorités françaises pour communiquer directement les informations recueillies ». Sur les raisons de la capture détrangers, principalement de Français, en Syrie, Wael se fait prolixe. « Le régime a quelque chose à voir dans laffaire, explique-t-il. Mohamed Hamcho (Mohammad Hamcho), un homme daffaires proche du régime, sintéresse de près aux étrangers kidnappés. Il encourage indirectement les prises dotages. Ensuite, il sert dintermédiaire pour faciliter leur libération. De cette manière les responsables de Damas comptent sattirer les bonnes faveurs de la France ». Tout est possible, la deuxième explication me semble néanmoins plus crédible. « Y compris dans la mouvance islamiste, révèle Wael, Daech est la seule organisation à perpétrer des enlèvements. Cela a coïncidé avec l'offensive française au Mali. Cest une façon, pour Daech, de sinscrire dans la mouvance internationale dAl-Qaïda en soutenant AQMI. Les autres mouvements, même les jihadistes dAl-Nosra (3), limitent leurs préoccupations au théâtre syrien. Cest pourquoi ils ne prennent pas dotages, parce quils considèrent cela improductif en projetant une image négative sur leur combat. Ils estiment, quau contraire, ils ont besoin de journalistes, y compris occidentaux, pour parler deux. Au début de la Révolution du reste, les représentants de la presse étaient bien accueillis et la population les recevait dans les maisons et soccupait deux ». « Dans ce contexte, poursuit Wael, nous avons fini par avoir lassurance que les prisonniers français était bien en vie. Ils étaient désormais quatre, avec Pierre Torres. Il nous fallait maintenir un canal ouvert avec Daech pour sassurer que cette organisation nallait pas faire nimporte quoi comme de les exécuter. Or, le risque était fort. Un juge islamique à la solde de Daech avait en effet rendu un jugement condamnant Élias à mort en laccusant despionnage. Nous avons eu la copie de la condamnation ». « Problème, les négociateurs se succédaient. Quelquefois ils changeaient de nom de guerre, brouillant les pistes. Lun deux se faisait appeler Abou Obeida. Je crois quil vient des Pays-Bas. Il parle très bien anglais et, ingénieur de formation, il comprend bien la mentalité européenne. Nous avons enfin appris que tous les prisonniers, y compris un reporter danois et un Espagnol, se trouvaient dans lhôpital pour enfants dAlep ». Je demande : « Pourquoi les Occidentaux nont-ils pas monter une opération armée pour récupérer les otages ? » Wael a un sourire. La Syrie des Assad nest pas un pays comme les autres ! « Quand le régime construisait un hôpital ou une école, les plans étaient dessinés comme ceux dune base militaire ou dune prison, explique-t-il. Ce sont des bâtiments faciles à défendre avec un effectif réduit. Des forces spéciales européennes, attaquant, auraient pris le risque que les hommes de Daech se fassent sauter avec les prisonniers. Si une attaque avait pu permettre leur libération, lArmée syrienne libre (ASL) (4) sen serait chargée, mais il est impossible de jouer de leffet de surprise... » « LASL faisait néanmoins ce quelle pouvait pour récupérer les otages. Elle avait capturé un ancien officier syrien, déserteur de larmée, que Daech recherchait pour le punir. Il avait reçu six millions de dollars de lorganisation islamiste afin dacheter un équipement de forage pour exploiter le pétrole (5). Il avait disparu dans la nature avec largent escroquant Daech. LASL a proposé de léchanger contre Didier François. Jai envoyé trois personnes sur place afin de négocier avec Daech. Cétait il y a sept mois. Je me suis rendu à la frontière, à Ghazi Antab, pour recevoir François à sa sortie de Syrie. Un autre groupe islamiste devait servir dintermédiaire... » Puis soudain tout bascula. Daech ne tint pas parole et, informé sur le lieu de détention de lofficier escroc, lorganisation islamiste attaqua lASL et sempara du prisonnier. Déception du côté de Wael et de ses amis au Liban. « Il a fallu renouer le dialogue, reprend Wael, alors que nous étions fous de colère suite à la traîtrise de Daech. Nous avons alors réussi à entrer en contact avec Abou Assir, un responsable de Daech. Il a demandé un million deuros. Nous avons dit que les familles concernées ne pouvaient pas dépasser 200 000 . Ils nous ont alors fait parvenir une vidéo ». Les choses semblaient avancer vers une solution. Mais un conflit généralisé éclata entre Daech et les autres tendances du soulèvement. En situation de faiblesse, lorganisation islamiste fut contrainte de fuir Alep. Comme souvent en pareil cas, elle liquida les prisonniers avant de partir. « À lintérieur de lhôpital, rapporte Wael, nous avons trouvé les restes dune soixantaine dhommes exécutés sommairement puis brûlés », comme si on avait voulu occulter leur identité. Des tests ADN étaient envisagés. On craignait le pire... Puis lespoir refit surface : « Nous avons appris que seuls les prisonniers syriens avaient été tués. Les étrangers, un trésor de guerre, avait été évacués sur Raqqa (6). Enfin, quelquun sest manifesté du côté de Daech. Un de ses membres nous a appris que les quatre otages étaient retenus dans une prison à proximité de lEuphrate et nous a offert de les faire évader. En échange, il demandait 200 000 , un bateau pour remonter le fleuve et des passeports pour pouvoir quitter la Syrie. Les autorités françaises étaient informées et nous agissions avec leur accord. Puis, à nouveau, le contact a été rompu, autant avec le transfuge quavec les gens de Daech. Nous ne le savions pas, mais nous étions à trois semaines ou un mois de la libération des quatre otages. Je ne sais pas ce qui sest passé à partir de cette époque, mais nous continuions de chercher des informations. Distribuant des médicaments et de la nourriture, mes collègues sur le terrain interrogeaient tout le monde. Cependant, des amis, à Raqqa et dans les environs mont dit : quelque chose se passe. Ne vous inquiétez pas... » Pour être franc, outre les diplomates français qui étaient sur le pont, les services, très mobilisés, étaient parvenus à souvrir au moins un autre canal. Il faut le dire, François Hollande, qui avait connu Didier François autrefois, sintéressait personnellement au dossier. Puis vint le 19 avril dernier, quand nos quatre compatriotes furent rapatriés en France.
Ils se sont pourtant mobilisés pendant une dizaine de mois. La courtoisie aurait voulu que, sous forme de livraison humanitaire, la France envoie un beau chargement de nourriture et de médicaments. Un peu dargent aussi pour des hommes exposés aux dangers de la guerre pour 50 $ par mois ! Dans tout le Moyen-Orient on le sait : les autorités françaises sont princières quand il sagit dentretenir le train de leurs ambassades, pingres pour remercier leurs amis. Cette aventure ne dément pas lusage. Alain Chevalérias (1) État islamique en Irak et au
Levant. |
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