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Dans ce discours fameux, qui souleva aussitôt une intense émotion dans le monde, De Gaulle replace de façon magistrale, comme seul il savait le faire, la situation au Moyen-Orient dans sa conjoncture historique, depuis l'époque biblique jusqu'à la déclaration Balfour de 1917, la création de l'État d'Israël par l'ONU en 1947, le déclenchement par Israël de " la guerre des six jours " qui s'est achevée six mois plus tôt par l'écrasante victoire de l'État hébreu, et l'affrontement des deux blocs, en dénonçant à la fin " la guerre odieuse " que " l'un des quatre plus grands mène ailleurs, " dans laquelle il voit des raisons de la tension qui a permis l'éclatement de la guerre. " Car tout se tient dans le monde d'aujourd'hui. Sans la guerre du Viêt-nam, le conflit entre Israël et les Arabes ne serait pas devenu ce qu'il est. " Contrairement à l'interprétation qui en a été faite généralement, De Gaulle y exprime de façon poétique et même affectueuse son admiration pour le peuple juif dont il relate la merveilleuse histoire, déplore les "abominables persécutions, " vante l'ingéniosité et le courage. Le seul passage qui fut retenu est celui où, ayant à l'esprit la politique agressive de l'État d'Israël il dit :
Le colonel Jean d'Escrienne, alors son aide de camp, m'a fait l'honneur et l'amitié de me confier quelques confidences qu'il eut à ce sujet en tête-à-tête avec le Général qui lui dit : " Ah, si seulement on pouvait dire des Français peuple d'élite, dominateur et sûr de lui. " Dans son livre passionnant : " Le Général m'a dit, " publié chez Plon en 1973, mais hélas épuisé, il relate une conversation avec le Général, au cours d'une promenade dans le parc de La Boisserie, le dimanche suivant la conférence de presse, dans laquelle il lui fait part de l'indignation d'Israël et de la presse écrite et parlée, française et internationale. Le Général lui répond :
Plus loin, le colonel d'Escrienne fait part de ses propres réflexions :
Dans un autre ouvrage aussi riche, " De Gaulle de loin et de près ", publié en 1978 chez Plon, le colonel d'Escrienne relate une conversation avec le R.P. Riquet, où il explique à son interlocuteur que " je n'avais jamais compris et ne comprenais pas encore pourquoi les Juifs, sachant la position du Général, hostile à celui qui tirerait le premier coup de feu, ne s'étaient pas arrangés pour que "les autres " aient tiré les premiers, au moment choisi par eux, les Juifs. Cela me semblait très faisable, avec un peu d'astuce ! Le père Riquet m'avait regardé en souriant et fait remarqué que j'évoquais là une " idée de manuvre " du genre de celles qu'on prête, d'ordinaire, volontiers, aux jésuites !!! " Tout en ayant signalé les appréhensions que soulevait la création d'un État d'Israël dans les conditions discutables qui avaient prévalues, De Gaulle cependant, avec son habituel pragmatisme, prend acte de la réalité et précise : " Bien entendu, nous ne laissions pas ignorer aux Arabes que, pour nous, l'État d'Israël était un fait accompli et que nous n'admettrions pas qu'il fût détruit. " Paradoxalement, le passage du discours le plus dur, non pas pour les Juifs, mais pour la politique de l'État d'Israël, est rarement cité : c'est celui mis en exergue. Quand on sait l'importance que De Gaulle attachait à la signification des mots, il est clair que le vocabulaire employé : occupation, oppression, répression, expulsions, résistance, terrorisme, est celui de la Résistance française, sa Résistance à l'Allemagne nazie commencée le 18 juin 1940 contre l'occupation de la patrie, les oppressions, répressions, expulsions ou déportations en collaboration avec le régime de Vichy, et qu'il les a prononcés à dessein. Il semble que ces mots soient passés inaperçus, comme si ce qu'ils expriment ne dérangeait personne, alors qu'ils sont la description de la brutalité tragique de toute occupation par la force d'un territoire. Mais peut-être est-ce justement parce que personne ne pouvait reprocher au Général de dire la pure vérité des faits : l'extrémisme entraîne l'extrémisme et ce que l'un appelle résistance, l'autre le dénonce comme terrorisme. La victoire électorale du Hamas en PALESTINE est une nouvelle illustration de cette vérité : les Palestiniens de Gaza et des Territoires de Cisjordanie sont désespérés de voir que leur situation, loin de s'améliorer ne fait que se détériorer, que les colonies juives s'implantent de plus en plus sur leur terres,[Si l'évacuation récente de Gaza est un geste positif et courageux d'Israël, c'est l'inverse qui se produit en Cisjordanie et la construction du mur de séparation en est l'illustration], et surtout que le Fatah n'a rien obtenu d'Israël pour soulager leur malheur. Avec Yasser Arafat, chef historique et charismatique qu'ils appelaient affectueusement " Abou Amar ", ils passaient sur la corruption de ce parti et le manque de résultats, mais Abou Mazen ne leur a rien apporté et conserve un Fatah aussi corrompu. Ils espèrent donc du Hamas, qui n'est certainement pas exempt de corruption, mais qui exige une véritable reconnaissance des droits des Palestiniens à avoir une terre et un Etat, qu'il obtiendra davantage de l'Etat hébreu, ce qui n'est pas impossible, et qu'il montrera au monde la situation dramatique où ils sont. Le désespoir, en outre, fournit des candidats à une mort héroïque contre l'ennemi. Quand on est démuni de moyens militaires pour faire la guerre, le terrorisme est la seule arme du pauvre qui n'a pas grand-chose à perdre sinon une vie misérable et déshonorante.
Ce qui m'amène désormais à mentionner mon expérience personnelle au Moyen-Orient, où je fus confronté au terrorisme et où j'ai essayé de faire la part des choses entre ces conceptions divergentes. Ni orientaliste, ni arabophone, mais anglophone, quand je fus envoyé au LIBAN en 1988 pour conseiller le général commandant la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL), je passai les quatre mois précédant mon départ à me documenter et à lire pour acquérir un minimum de culture de " l'Orient compliqué " où je voulais, moi aussi, partir avec quelques "idées claires ". Plus j'avançais dans mon étude et plus tout me semblait encore plus embrouillé dans cette guerre libanaise cruelle et fratricide, alimentée à dessein par les rivalités des pays riverains. Débarquant à Nakoura au Sud Liban, je découvris que, les Français étant la cible privilégiée du Hezbollah pour les prendre en otage ou simplement les tuer, le Premier Ministre français de l'époque, Jacques Chirac, avait décidé l'interdiction de sortir des bases aux forces françaises, à juste titre, les Américains ayant depuis quelques mois repliés leurs observateurs en Israël, notamment après la capture du lieutenant-colonel Higgins par le Hezbollah quatre mois avant mon arrivée. Pour accomplir ma mission il me fallait rapidement multiplier les entrevues avec les multiples factions libanaises rivales agissant sur le terrain, armées jusqu'aux dents, parler avec elles pour essayer de comprendre leurs motivations, leurs objectifs et leurs stratégies. Je fus donc le seul, avec parfois un médecin et un officier humanitaire, à pouvoir me rendre dans tout le sud avec une escorte blindée qui ne passait évidemment pas inaperçue. C'est ainsi que j'eus rapidement la chance, grâce à des contacts divers, de découvrir que la France représentait pour la plupart des Libanais de toute confession un idéal puissant, évidemment chez les quelques chrétiens de cette région qui suscitaient ma vive compassion par leur isolement, mais aussi chez les chiites qui dominaient la région, démographiquement et politiquement, avec leurs rivalités internes entre AMAL et HEZBOLLAH. Ce sentiment profond me fut davantage communiqué par mes échanges avec les gens du peuple, dans les villages, qui parlaient simplement le langage du coeur, m'arrêtaient pour m'offrir un café, que par les échanges de vues officiels avec les chefs locaux, voire nationaux venus de Beyrouth pour faire passer des informations à Paris au travers du messager qu'ils croyaient voir en moi. "C'est la France qui a créé le Liban, c'est notre mère à tous, et pas seulement celle des chrétiens. " En contradiction avec les résolutions de l'ONU, notamment la 425, Israël occupait depuis 1978 une large bande du territoire libanais s'étendant de la Méditerranée à l'ouest aux confins du mont Hermon et de la Syrie à l'est, s'assurant ainsi une zone dite de sécurité et que la terminologie onusienne désignait par : "Zone contrôlée par Israël ".Son but était de créer un espace tampon entre sa frontière nord et le Liban d'où partait les attaques des Palestiniens et du Hezbollah. Les relations de la FINUL avec Tsahal étaient rudes, Israël estimant que nous ne remplissions pas notre mission d'empêcher les infiltrations de combattants, ce qui était en partie vrai. Du coup les soldats israéliens étaient agressifs et de nombreux incidents éclataient régulièrement, avec parfois des morts, en général du côté de la FINUL. L'animosité onusienne pour les soldats israéliens était générale et le fait de la dizaine de nations composant la force, alors forte de plus de 6000 hommes. Pourtant je m'étais lié d'amitié avec un officier de Tsahal qui était chargé des relations avec la Finul, le capitaine Eitan Brock, qui défendait les intérêts de son armée tout en comprenant nos difficultés. En de multiples occasions il m'aida à régler des conflits divers qui auraient pu mal se terminer sans son intervention. Cette amitié se perpétua quelque temps puisque je le reçus chez moi à Paris avec sa femme quelques années plus tard. Mais il ne revint plus à Paris, ou sans me voir, à cause peut-être d'instructions reçues, et je le regrette encore car c'était un homme de grande qualité, intelligent et honnête. Peu à peu je réalisais qu'au-delà de cette guerre qui les divisait de façon sanglante, utilisée par les puissances voisines pour atteindre leurs objectifs qui découlaient du conflit israëlo-palestinien, un sentiment national dépassant les confessions religieuses existait dans toute les communautés libanaises, nourri souvent par l'idée prétentieuse d'être plus malins que leurs voisins arabes, ce qui finalement se vérifie souvent, et en tout cas d'être originaux en Orient. Beaucoup de chiites m'expliquèrent qu'au milieu d'un monde arabe majoritairement sunnite, leur intérêt était de préserver cette exception culturelle libanaise, entérinée par la France lors de l'indépendance donnée par le Général De Gaulle en 1943. Pour illustrer cette idée, Monseigneur Jean Haddad, évêque catholique de TYR, courageux parce que bien seul avec ses quelques ouailles, me donna une photo réunissant en 1972 son frère et prédécesseur, Monseigneur Georges Haddad, et l'Imam Moussa Sader (Moussa Sadr), avec une dédicace du guide religieux incontesté des chiites dont la notoriété est encore fortement présente, renforcée par sa disparition mystérieuse en 1978 lors d'un voyage en Libye de Kadhafi, dont je notai la traduction de l'arabe : " Si l'essai de coexistence islamo chrétienne échoue au Liban, alors la civilisation mondiale s'obscurcira pour un long temps. " Comme cette courte phrase, est chargée de sens, encore aujourd'hui ; surtout aujourd'hui où les adeptes de la thèse de Samuel Huntington annoncent le choc inéluctable des civilisations et que l'impérialisme américain, au nom de sa conception des Droits de l'homme et de sa morale, déroule son rouleau compresseur guerrier sur la planète pour imposer sa vision du bonheur de l'humanité, son mode de vie, à des populations médusées par un tel aveuglement. Les cibles choisies prioritairement par Washington pour leur apporter la démocratie et la félicité sont tout de même sélectionnées pour leurs richesses en matières premières, notamment en pétrole,comme l'Iraq, ou pour leur situation stratégique économiquement ou politiquement,comme l'Afghanistan et l'ex-Yougoslavie, point clés sur les passages des oléoducs. A cet égard, on remarquera comment les États-Unis ont renoncé à poursuivre leurs pressions sur un autre "État-voyou " à leurs yeux, la Corée du Nord, tout simplement parce que Pyong Yang détient l'arme nucléaire et que, de ce fait, les attaquer est devenu impossible. On comprendra alors pourquoi la Perse d'aujourd'hui, grande et vieille civilisation au rôle régional essentiel, peuplée et riche en ressources diverses, continuera à défendre son indépendance et sa souveraineté et ne se laissera pas intimidée par l'Amérique et son valet européen, d'autant plus que les pressions exercées renforcent l'unité nationale derrière le régime d'Ahmadinejad, élu démocratiquement mais souvent critiqué en Iran, notamment par une jeunesse dynamique, en raison de son caractère religieux mais non pas de sa politique sociale, économique ou étrangère. La décision d'accéder à la technologie nucléaire fut prise par le Shah qui obtint aussitôt la coopération de la France avec le malheureux projet Eurodif. Si le régime islamiste qui dirige l'IRAN devait être chassé, n'importe quel successeur mènerait la même politique sur la question de l'accès à la technologie nucléaire. Les pressions américano-européennes, directes et maintenant au travers de l'ONU, n'ont eu pour effet que de renforcer le régime qu'elles veulent abattre, réveillant la fierté de l'originalité perse au milieu du monde arabe et soudant le pays dans l'adversité. On voit mal comment, dans ces conditions les Etats-Unis pourraient faire plier un pays soudé et déterminé sur cette question et qui dispose d'appuis internationaux, notamment russe et chinois, même si chacun privilégie les accommodements. A moins de se lancer dans une nouvelle guerre suicidaire, alors qu'ils sont embourbés en Iraq et ne savent comment en sortir, qu'en Afghanistan le Président Hamid Karzaï ne contrôle que Kaboul, le reste du pays étant aux mains des différent chefs tribaux. Pendant ce temps, Oussama ben Laden court toujours le djebel avec ses acolytes, trouvant accueil, gîte et couvert dans la plupart de ces tribus des confins pakistano afghans qui approuvent sans aucun doute son combat contre un impérialisme anti-musulman ou jugé comme tel, envoyant de façon sporadique à l'Oncle Sam des messages tour à tour menaçants, ironiques ou sarcastiques. (On se demande d'ailleurs ce que font encore nos soldats dans ce pays, à moins de s'en servir de terrain d'entraînement, et quels sont les intérêts français qu'ils y défendent). La diplomatie iranienne fait l'effort
de ne parler que de nucléaire civil mais ce n'est que
de la diplomatie. Ces pressions renforcent aussi les frustrations
de tous les musulmans du monde, pas seulement des chiites d'Iran,
qui pensent que l'impérialisme euro-américain veut
les maintenir en état de dépendance en raison de
sa haine de l'islam et soutient pour cela de façon unilatérale
la politique agressive d'Israël envers les Palestiniens.
Si pour ces raisons la masse arabe est largement anti-américaine,
voire anti-européenne quand l'UE s'associe aux Etats-Unis,
les gouvernements arabes se montrent très pusillanimes
dans leur soutien à la cause palestinienne, car nombre
d'entre eux sont totalement inféodés à Washington
et ne conservent leur pouvoir que du fait de cet appui. Nous
verrons plus loin les exceptions irakienne et syrienne, la Libye
de Khadafi s'étant rendue sans vergogne à Canossa-Washington.
Peu après mon arrivée au Liban, j'eus la chance de connaître la sur de l'imam Moussa Sader (Moussa Sadr), madame Rabab Sader (Rabab Sadr) Saraffedine, femme admirable à la forte personnalité, dégageant une aura qui frappait tous les visiteurs que je lui amenais, par la douceur de son sourire et l'intelligence de son regard. Elle menait au Liban une action humanitaire d'envergure auprès des plus démunis chiites, et notamment à TYR. Elle me fut d'une grande aide par ses conseils et s'inscrivait totalement dans la politique de son frère disparu. Mon problème principal toutefois, existentiel si je puis dire, était le Hezbollah dont la doctrine et les actes étaient radicalement opposés aux vues de la France. A cette époque, l'idéologie du mouvement était d'instaurer un Etat islamique au Liban, ce qui n'éliminait pas les chrétiens libanais mais les cantonnait dans une situation de second ordre, et son action, appuyée par l'Iran et la Syrie, consistait à chasser les troupes étrangères du pays en perpétuant des attentats meurtriers sur celles-ci. Il serait trop long et inopportun de donner ici des détails, mais il advint que je pus comprendre que cette mouvance islamiste était organisée à l'orientale, d'une manière qui n'avait rien à voir avec la logique cartésienne occidentale, et que si certains montaient des opérations pour me prendre en otage ou m'assassiner, d'autres, souhaitaient au contraire engager un dialogue avec moi. J'acceptai les premiers contacts avec mille précautions et finalement entretint des échanges tellement fructueux que je fus renseigné plusieurs fois sur les pièges que l'autre tendance m'avait tendus, me permettant ainsi de les éviter. C'est donc paradoxalement grâce au Hezbollah que je n'ai pas été pris en otage ou tué par le Hezbollah ! Je réalisai en même
temps que leur doctrine était en train d'évoluer,
ce qui expliquait mes contacts, et qu'ils appréciaient
le fait que je sois croyant et dénonce autant qu'eux le
matérialisme occidental. Peu à peu, nous comprenions
que nous pouvions trouver des points de convergence, à
condition qu'ils abandonnent leur politique d'attentats et reconnaissent
la volonté impartiale de la France d'aider tous les Libanais
à sortir de la crise. Il me sembla que le parti islamiste
était tout près de modifier sa stratégie. Visitant alors de nombreux pays arabes,
j'observai comment l'islam imprégnai dans ses profondeurs
le mode de vie de ces populations et créai un mode de
vie harmonieux et équilibré, dans un cadre religieux,
moral, social et culturel largement accepté, même
si certaines règles datant de l'époque du Prophète
Mahomet avaient du mal à s'accommoder avec les exigences
de la vie moderne occidentale. Les Arabes se montraient la plupart
du temps accueillants et aimables avec le visiteur européen,
les élites comme les gens du peuple et lorsqu'ils m'accordaient
leur confiance, invité dans les familles j'admirais l'importance
accordée aux parents et aux grands parents, le respect
des enfants pour les plus âgés et la place éminente
tenue dans l'ombre par les femmes. Il était frappant de
voir des personnages importants politiquement ou économiquement
s'adresser à leurs parents, parfois incultes, et surtout
à leur mère ou grand-mère, avec une délicatesse
et une prévenance qui devient rare en occident. Dans les
familles où le grand-père avait disparu, aucune
décision importante n'était prise sans demander
son avis à l'aïeule qui était, sans en avoir
le titre, le vrai chef de famille, en tout cas le mentor à
consulter.
Bien des Libanais opposés à la Syrie se félicitèrent cependant de l'arrêt de la guerre civile, de la fin des attentats et se remirent à vivre normalement, ce qu'ils avaient perdu l'habitude de faire depuis quinze ans. Peu d'émigrés se réinstallèrent mais beaucoup apprécièrent de pouvoir revenir dans leur pays voir leurs familles et amis. Le nouveau pouvoir libanais, inféodé à la Syrie, fut aussitôt appuyé par la communauté internationale, tout particulièrement par la France. Des ambassadeurs de France de grande qualité, notamment Jean-Pierre Lafon, surent alors montrer aux Libanais de tous bords la sollicitude de la France pour le pays du cèdre dans sa diversité, avec un sens aigu de la juste répartition entre les communautés. L'ouverture d'un grand lycée français à Nabatiyé au sud, en pleine région chiite, fut un geste fort qui marqua les esprits. La France, à l'époque, était confrontée au problème du terrorisme venu de la mouvance islamiste internationale mais particulièrement d'Algérie où le processus électoral de décembre 1990 ayant donné la victoire au FIS, le pouvoir militaire algérien l'avait interrompu et engagé une lutte sanglante contre le terrorisme qui se développa alors en réaction. Les moyens employés laissent penser que les attentats du RER de Paris avaient pour but de persuader les autorités françaises, indécises, de soutenir les militaires algériens dans leur lutte contre le terrorisme. Là encore, l'extrémisme et l'injustice entraînèrent l'extrémisme et le terrorisme. Dans cette période je fis de nombreuses missions au Liban et rencontrai fréquemment les responsables des différentes confessions. J'eus avec Sayed
Mohamed Hussein Fadlallah (Turban noir, descendant du Prophète)
plusieurs entrevues riches et fructueuses. Bien qu'il fut considéré
comme le guide spirituel du Hezbollah, il tenait à marquer
sa différence en précisant qu'il était un
responsable religieux et non un chef de parti politique. Il eut
avec moi des conversations théologiques où il insista
sur le respect de l'islam pour la Bible d'abord, dont les interprétations
scripturaires divergent à partir de la descendance d'Abraham
avec l'exclusion de son fils Ismaël au profit d'Isaac, le
Prophète Mahomet situant l'islam dans cette filiation
injustement écartée, pour le christianisme ensuite
dans lequel Jésus est vénéré comme
un grand prophète et pour Marie, sa mère. Nous
eûmes aussi des discussions politiques et il me donna beaucoup
de conseils. Je cite ici le préambule d'une fiche rédigée
de retour d'une mission en 1992 : Il déplora, à l'instar des autres musulmans rencontrés, l'injustice constituée par l'interruption du processus électoral en Algérie, me donna des conseils de modération vis-à-vis des militaires d'Alger et m'incita à tenir compte de l'importante communauté musulmane maghrébine de France qui observait ces évènements avec une sensibilité douloureuse, voire y était impliquée. Une de ces entrevues se plaça deux ou trois jours après la destruction par la résistance libanaise d'un char israélien et la mort des cinq occupants. Le Ministre des Affaires Etrangères français (Roland Dumas je crois) avait fait une déclaration lénifiante en déplorant la violence et la mort des soldats israéliens. Sitôt après m'avoir salué et avant d'aborder l'ordre du jour, il me dit :
Bien entendu il insistait à
chaque fois pour que la France retrouve une politique indépendante
des Etats-Unis et d'Israël et pratique la justice dans ses
rapports avec tous. En janvier 1992 : " Les conditions
sont réunies pour un rapprochement franco-syrien. L'alliance
américano-syrienne (alliance non déclarée
mais objective à l'époque), n'est pas naturelle
et Damas regarde vers l'Europe et surtout vers Paris. C'est important
car Damas est maintenant à la tête du monde arabe
et la politique orientale de la France doit passer par la Syrie. Dans les années 90, le Hezbollah,
dont la doctrine était désormais de réaliser
l'union de tous les Libanais dans le cadre des accords de Taef,
dirigeait la résistance armée à l'occupation
israélienne et devint un parti incontournable. Avec une
quinzaine de députés au Parlement, parmi lesquels
des chrétiens élus sur ses listes de la Bekaa notamment,
il pesait sur toutes les décisions gouvernementales. Parmi toutes les personnes rencontrées,
Hassan Youssef, titulaire d'un diplôme de Docteur es sciences
obtenu en France, parfait francophone, m'aida beaucoup à
cerner les problèmes et à entrer dans les raisonnements
orientaux parce qu'il réunissait en lui les deux cultures.
Il avait été en quelque sorte le Ministre des Affaires
Etrangères du parti AMAL de Nabih Berri, puis Président
du Conseil Supérieur du Sud qui consistait de facto à
être Ministre des Affaires du sud Liban dans le gouvernement
issu de Taef.
Le survol de ces crises où
la violence s'exprime sous des aspects variés montre cependant
une constante : les rivalités mimétiques décrites
par le philosophe René Girard n'ont jamais été
aussi fortes et le terrorisme qui se répand est le résultat
des injustices et frustrations ressenties par le monde musulman.
Au lieu de privilégier le respect des différences
de culture et l'enrichissement des échanges entre elles,
avec l'impérialisme aveugle qui veut s'imposer partout
sur la planète, le monde se heurte au choc des civilisations
et se précipite vers sa perte, sous une forme ou sous
une autre. Il est terrifiant de constater que les tenants de
cette politique, l'Amérique souvent suivie par l'Europe,
persuadés d'agir pour le bien de l'humanité en
lui apportant les bienfaits de la civilisation occidentale, ne
réalisent pas l'insensé de cette attitude, vérifiant
ainsi les prophéties de Nietzsche qui ne voyait d'issue
possible à cette domination de l'absurde que dans l'apparition
de surhommes capables de sortir l'Europe de cet engrenage fatal,
par le retour aux vrais valeurs qui font la grandeur de l'homme.
(Et non pas pour imposer leur domination comme Heidegger l'a
dit en dévoyant la pensée de son mentor pour déboucher
sur les théories nazies.)
Enfin, ayant placé en exergue une citation du Général De Gaulle, je le laisserai aussi conclure avec ces mots où il place dans les relations franco libanaises un espoir pour la paix du monde :
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De Gaulle sous l'Arc de Triomphe à la Libération.
"Le Mur de Sharon" par Alain Ménargues
Bachar el Assad, président de la Syrie
Cheikh Mohammad Hussein Fadlallah (Voir interview)
Retrouvailles de Samir Geagea avec sa femme Sethrida le 26 juillet 2005.Onze ans de détention les avaient séparés. Voir: Renaissance de Samir Geagea
Beyrouth:Mausolée de Rafic Hariri place des Martyrs devenue place de la Liberté
Cheikh Nasrallah et Michel Aoun, annonçant leur nouvelle alliance.
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Pour ce passage, je me permets de faire quelques remarques. A l'époque, j'enquêtais au Liban sur la fracture entre le général Aoun et les Forces libanaises de Samir Geagea. J'ai visité les deux côtés pendant plusieurs mois. La partition du Liban était alors un état de fait imposé par la guerre. Héritier politique de Béchir Gemayel, Geagea ne " prônait " pas la partition du Liban mais, encerclé dans le réduit chrétien par la Syrie et les milices musulmanes, était bien obligé de l'accepter comme une réalité. Certes, au Liban, les chrétiens en général, les Forces libanaises en particulier ont commis un certain nombre d'erreurs. Néanmoins on ne peut leur reprocher la tentation de formaliser la partition sans tenir compte de la cause : l'instrumentalisation du Liban aux fins géopolitiques des forces islamistes et soviétiques. Même si les chrétiens ont dans l'affaire, encore une fois, leur part de responsabilité, les musulmans, comme nous l'avons expliqué (voir: Histoire : Liban la guerre de 15 ans ) sont à l'origine de la guerre civile libanaise (1975-1990). On ne pouvait infliger aux chrétiens un encerclement inhumain et, en même temps, leur reprocher de se replier sur eux-mêmes. Les musulmans doivent aussi comprendre leur part de responsabilité dans le vertige séparatiste. En ce qui concerne la collaboration entre les Forces libanaises et Israël, celle-ci est claire jusqu'en 1982. Mais, à partir de cette date, Béchir Gémayel lui même a pris ses distances à l'égard de l'Etat hébreu. Un incident est révélateur : le chef de la force d'occupation israélienne au Liban avait convoqué Béchir alors élu Président du Liban. Comme il l'aurait fait devant un officier subalterne, l'Israélien s'est montré autoritaire. Béchir a répondu : " Je suis le Président du Liban. Je n'ai pas d'ordre à recevoir de vous. " Quelques semaines plus tard, Béchir était assassiné. Succédant à Béchir, Geagea a lui aussi refusé de se soumettre aux Israéliens. Il n'avait nul besoin de se forcer. En quittant le Chouf, les forces israéliennes avaient livré les chrétiens aux milices druzes. En une nuit, ces dernières ont massacré 1500 civils chrétiens et obligé des dizaines de milliers d'autres à l'exode. Les chrétiens du Liban n'ont pas beaucoup de raison d'éprouver un sentiment d'amitié à l'égard des Israéliens. Néanmoins, à l'époque, le fait qu'Israël et les Forces libanaises se soient trouvées face à l'URSS, dans le camp politique de l'Occident, obligeait Geagea à entretenir un minimum de relations avec l'Etat hébreu. Celles-ci étaient cependant tendues. A la fin des années 80, la rupture s'est vue consommée, les Forces libanaises ayant conclu un accord avec Saddam Hussein. Ce dernier, pour porter quelques coups à ses " frères ennemis " syriens, envoyait des bateaux d'armes aux Forces libanaises. Les Israéliens n'ont jamais pardonné son rapprochement avec Saddam, leur ennemi juré, à Geagea. On remarque dans les propos de leurs diplomates une véritable détestation à son endroit. Dernier point, pour avoir observé quelques mouvements de troupes sur le terrain et analysé les combats menés par le général Aoun, je ne nourris pas le même sentiment que le colonel Alain Corvez en ce qui concerne les compétences militaires du général Aoun. Comme preuve, l'exemple même évoqué par le colonel Corvez : en mars 1989 le général Aoun lançait une guerre dite de Libération contre la Syrie. La disproportion des forces, à son désavantage, ne pouvait engendrer que sa défaite. Un militaire n'attaquant qu'en position de force, le général Aoun a fait la démonstration de ses limites. Un mot pour dire que j'étais au quartier général des Forces libanaise, à Beyrouth, en octobre 1990, pendant l'attaque de la Syrie. Les écoutes permettaient d'entendre le général Aoun, réfugié dans les locaux de l'Ambassade de France, appeler ses hommes sur un équipement radio portatif à continuer de combattre quand la bataille était perdue. Il faut observer cette période de l'histoire du Liban sans concession pour quelque parti que ce soit. Ceci pour mieux aider les Libanais à éviter, dans l'avenir, les écueils du passé.
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