OPINION D’UN SAOUDIEN
SUR LA LUTTE
CONTRE LE TERRORISME

par Abdulrahman Al-Rashed

décembre 2015

Abdulrahmane AlrachedPrésentation :
Abdulrahman Al-Rashed
est un journaliste saoudien de réputation internationale. Il a été directeur de la chaîne d’information « Al-Arabiya » et rédacteur en chef du quotidien en langue arabe « Asharq Al-Awsat », qui est publié à Londres. Il nous a semblé pertinent de faire intervenir un homme proche des cercles de décideurs saoudiens sur le conflit multiforme qui prend place à l’échelle de tout le Moyen-Orient.

Entre 2003 et 2009, l'Arabie Saoudite a été confrontée à une véritable guerre contre Al-Qaïda. Paniqués par les menaces des terroristes, de nombreux consulats ont fermé leurs portes à Riyad et la plupart des sociétés étrangères ont rappelé leurs employés.

Nous avons alors traversé une période très difficile. L'organisation terroriste avait fait la démonstration de sa capacité à atteindre des secteurs essentiels comme les sites pétroliers et les zones habitées d’étrangers pourtant protégées. À l’époque, Al-Qaïda a même été à deux doigts d’assassiner Mohamed Bin Nayef Bin Abdulaziz Al Saoud, l'actuel prince héritier. Il était alors à la tête de la lutte contre le terrorisme.

D'autres attaques avaient eu lieu dans les années 90, mais à partir de 2003 les terroristes d’Al-Qaïda ont entrepris des opérations plus élaborées et plus destructrices. Exécutées par des commandos-suicides bien entraînés, dans la capitale elles visaient des secteurs densément peuplés, tuant de nombreux civils saoudiens et étrangers.

Un appel téléphonique avait alors été intercepté par les services de renseignement. Un dirigeant d'Al-Qaïda résidant en Iran en était à l’origine : Saïf Al-Adl. Il a été entendu donnant le signal d’une attaque.

George Tenet, ancien directeur de la CIA, a parlé de la relation entre la direction d'Al-Qaïda, installée en Iran, et les attentats à l'explosif commis à Riyad dans son livre publié sous le titre « At the Center of the Storm ».

À l’occasion de ce conflit, les forces de sécurité saoudiennes ont amélioré leurs capacités de combat et de renseignement contre Al-Qaïda. Relayées par la presse, les autorités ont aussi renforcé leur campagne à l'intérieur du Royaume afin de tarir les soutiens à l'organisation et d’annihiler la sympathie qu’elle pouvait susciter en dénonçant l'occupation américaine de l'Irak.

Le gouvernement a aussi passé des décrets réservant aux seules organisations humanitaires reconnues le droit de collecter des fonds. Puis il a arrêté près de 7000 personnes accusées d’entretenir des relations avec Al-Qaïda, voire de faire de la propagande en sa faveur à travers le prosélytisme religieux.

Aujourd’hui, on compte encore plus de trois mille de ces personnes dans les prisons, dont la majorité a été condamnée aux cours de procès publics couverts par la presse.

À la fin de 2009, on peut dire que l’Arabie Saoudite avait vaincu Al-Qaïda qui restait néanmoins active dans les régions instables du Moyen-Orient comme la Syrie, l’Irak et le Yémen. Les autorités de mon pays ont arrêté des centaines de Saoudiens et de Saoudiennes qui tentaient de se rendre dans ces régions pour rejoindre les groupes terroristes. Le gouvernement a révélé leurs identités et mis en garde toute personne qui serait tentée de se rendre là-bas ou d’aider ces groupes de quelques manières que ce soient.

En raison de la complexité des conflits politiques moyen-orientaux, certains confondent les choses et font l’amalgame entre le terrorisme et l’islam pratiqué en Arabie Saoudite. Pourtant, mon pays un l’un des plus attaqué par les groupes terroristes parce qu’il se dresse contre eux et est une référence pour les musulmans sunnites qui représentent 90 % des musulmans du monde.

Certains vont jusqu’à imaginer une relation directe entre la mouvance terroriste et les autorités gouvernementales saoudiennes parce que tous les deux appartiennent à la confession sunnite.

Pourtant, l'Iran, bien qu'il soit gouverné par un régime d’obédience chiite, est resté en très bons termes avec Al-Qaïda et plusieurs de ses cadres, comme Saïf Al Adl, qui vivent sous la protection de l'Iran sur son propre sol. On sait aussi que la majorité des membres de la famille du chef d'Al-Qaïda, le défunt Oussama Ben Laden, s'y était réfugiée fuyant l'Afghanistan et les bombardements américains en 2001.

Il en est de même pour Bachar al Assad, le Président syrien. Même s'il est à la tête d'un régime alaouite, depuis des années, il est aussi un parrain de premier plan des organisations extrémistes sunnites de la région, comme par exemple Fatah el Islam au Liban, le HAMAS palestinien à Gaza ou le Jihad Islamique.

Quant à l'Arabie Saoudite, si elle a adopté le salafisme conservateur dénommé « Wahhabisme », celui-ci est basé sur un mode de vie stricte, le port du voile pour les femmes, la pratique des cinq prières quotidiennes et quelques autres aspects du culte.

Mais ce courant religieux, dans son essence, n'a rien à voir avec l'idéologie d'Al-Qaïda, de Daech ou des autres groupes radicaux. Il préconise en effet que le gouvernant, c'est à dire la personne à qui l’on prête allégeance, est le maître de la décision politique. C’est un devoir religieux que de lui obéir et il est interdit de se rebeller contre lui. Avec une exception cependant : si la puissance gouvernante violait les règles essentielles de l’islam, ce que l’on appelle les piliers de cette religion.

Sur ce point, l’obligation d’obéissance au gouvernant auquel on a fait allégeance, l'idéologie des organisations terroristes divergent totalement. En effet, elles ont décrété vouloir réinstituer le califat islamique déclarant tous les autres dirigeants musulmans « taghoût », c’est à dire des transgresseurs de l’islam qu'il faut combattre. Les organisations terroristes Daech, le Front Al-Nosra ou Al-Qaïda vont jusqu’à considérer que le régime saoudien est « kafir », c’est à dire impie et doit être éliminé.

Pour moi, remontant plus de trente ans en arrière, c’est au régime de l'ayatollah Khomeini qu’il faut attribuer l’origine de la crise intellectuelle que traverse aujourd’hui le monde musulman. En prenant le pouvoir en 1979, Khomeini a instauré un système politique religieux et fait de l’exportation de sa révolution islamique un slogan.

Nous en voyons les effets aujourd'hui dans la littérature des organisations terroristes en Algérie, en Tunisie, en Syrie, au Yémen ou en Irak. L'Iran est l'inspirateur et le modèle des organisations extrémistes islamistes qu'elles soient sunnites ou chiites. Pire, il soutient quiconque déclare la guerre à l'Occident.

Pour conclure, entre l’Arabie Saoudite et l'Iran on voit bien la différence de gestion des groupes extrémistes. Dans les prisons saoudiennes des milliers de Saoudiens et d’étrangers radicalisés sont incarcérés. La majorité d'entre eux sont sunnites, condamnés pour appartenance à des organisations comme Daech ou Al-Qaïda. Certains ont été condamnés à mort et parmi eux figurent des personnalités religieuses pourtant reconnues. En Iran, en revanche, on ne trouve pas de détenus appartenant à des organisations terroristes, qu'elles soient chiites ou sunnites.

Plus grave, l’Iran est directement responsable de l'émergence et du financement d’organisations comme le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen et des dizaines de groupes armés qui échappent au contrôle des autorités en Irak.

À ce niveau, il faut bien comprendre l’engagement de l’Arabie Saoudite et la raison pour laquelle elle a mis sur pied une alliance islamique pour combattre Daech et les autres groupes extrémistes armés.

Modèle religieux pour les musulmans sunnites, avec ses dirigeants elle pense que laisser l’initiative de l’affrontement contre les groupes terroristes et l’Iran aux Occidentaux ne ferait que renforcer ces groupes. En effet, ces derniers se prétendent les défenseurs de tous les musulmans sunnites persécutés à travers le monde : contre le gouvernement chiite de Bagdad, contre les Russes en Syrie, contre les Américains partout dans le monde ou contre les Houthis chiites au Yémen.

Mais quand une alliance d'une trentaine de pays musulmans sunnites s’organise en coalition militaire et politique contre Daech, Al Nosra et Al Qaeda, ces groupes perdent tout semblant de légitimité religieuse. Leur prétention à poser aux défenseurs des sunnites s’effondre en même temps que leurs partisans prennent conscience que la majorité des musulmans est contre eux.

Pour l’Arabie Saoudite, on ne peut se débarrasser du virus de l’extrémisme qu'en s'adressant aux musulmans avec les arguments de l’islam. Il faut relever le défi islamiste dans l’opinion en parlant au nom des valeurs islamiques. C’est la seule manière de l’emporter contre le radicalisme et non pas en laissant le leadership aux chiites iraniens, aux chrétiens occidentaux ou à toute autre ligne de pensée philosophique ou religieuse.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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