Le 25 septembre dernier, répondant à
lappel du GRK (Gouvernement régional du Kurdistan
dIrak), dirigé par Massoud Barzani, se tenait un
référendum dans les territoires réputés
kurdes du nord irakien. Le oui lemportait pour lindépendance
à une majorité écrasante. Mais, dans la
nuit du 16 au 17 septembre, la situation basculait. Les forces
irakiennes loyales à Bagdad entraient dans Kirkouk et
occupaient les sites étatiques. Les forces kurdes se repliaient
sans combattre, suivies par une grosse partie de la population.
Cest la moitié de leurs revenus du pétrole
qui échappaient aux Kurdes. Du même coup, les dissensions
éclataient au grand jour entre les deux principales factions
du Kurdistan irakien : dune part, implanté à
louest de la province, le PDK, dirigé par Barzani,
dautre part lUPK, à lest, aux mains
de Jalal Talabani, jusquà sa mort le 3 octobre dernier.
On peut se demander la raison de leffondrement du rêve
kurde quand, quelques semaines plus tôt, les grandes puissances,
au premier chef les Occidentaux, soutenaient encore avec une
quasi ferveur les « courageux peshmergas »
qui combattaient Deach. Les Kurdes seraient-ils frappés
dune malédiction ?
Les
Kurdes sont une ethnie vivant dans linsularité de
leurs montagnes situées au carrefour du nord de lIrak,
du nord-ouest de lIran, de lest de la Turquie et
de lest de la Syrie. De langue indo-européenne,
dune variation de ce groupe didiomes très
proche du perse, ils se disent descendant des Mèdes, un
ancien empire soumis par les Achéménides (1)
au VIe siècle av. J.-C..
Depuis, les Kurdes nont
fait que sillustrer en marge des puissances tenant la Mésopotamie
et le Moyen-Orient. Mercenaires des Arabes,
jusquà leur donner un chef prestigieux, Saladin, puis des Ottomans et des Turcs,
quils aidèrent à exterminer les Arméniens et autres chrétiens en 1915,
ils nont jamais formé dÉtat.
Cependant, rétifs à la
soumission, attachés à leurs coutumes et à
leur langue, ils ont su résister à lassimilation
quelle vînt de leurs cousins perses, devenus Iraniens,
des Turcs, qui ont laudace de les prendre pour une
de leurs tribus, ou des Arabes, toujours prompts à
imposer leur langue au nom de lislam.
Au lendemain de la Première
Guerre mondiale, ils crurent un moment pouvoir créer
leur propre État dans les ruines de lEmpire
ottoman. Cétait oublier la coalition dintérêts
contraires :
tous les pays sur lesquels sétend leur territoire,
mais aussi la Grande-Bretagne qui, déjà,
lorgnait sur le pétrole de Mossoul, au coeur du
Kurdistan, et sattribua pour cette raison le nord
de lIrak actuel.
Cependant, le traité de Sèvres,
signé le 10 août 1920, dans lesprit
de laccord Sykes-Picot (2),
na laissé à la Turquie que 420
000 km2, quand aujourdhui son territoire sétend
sur 783 500 km2. Cette première ébauche
des frontières prévoit en effet la création
dun État arménien et celle dun micro
Kurdistan indépendant. En toute insolence, mais non sans
fierté, pour un pays vaincu, Mustafa Kemal Atatürk
lance une guerre pour annexer ces deux territoires à la
nouvelle Turquie.
Elle va durer trois ans, bousculer
les troupes françaises et forcer les alliés à
signer un nouveau traité, celui de Lausanne, le 24
juillet 1923. Si une République dArménie
naît sous la férule soviétique, il ny
aura pas dÉtat kurde.
EN
IRAN : LA RÉPUBLIQUE DE MAHABAD
Dans chacun des pays où ils
vivent, les Kurdes sorganisent, créant des
partis politiques et se cherchant des alliés au-delà
des frontières. Cest une stratégie dopportunités.
Ainsi, pendant la Seconde Guerre mondiale, on voit les
Kurdes dIran fonder la République
de Mahabad avec le soutien des Soviétiques qui
comptent bien transformer le pays en glacis protecteur de leur
Empire. Mais, à peine la guerre finie, Moscou signe
un accord pétrolier avec Téhéran
et abandonne Mahabad dont les Iraniens reprennent le contrôle.
Lépopée du clan
Barzani sinsère dans cette aventure. Né
en 1903 dans le nord de lIrak, Mustafa
Barzani se rebelle dabord contre les Britanniques
alors maîtres du pays. Capturé, il est gardé
prisonnier. Mais en 1943, il parvient à séchapper
et à rejoindre lIran où il deviendra
ministre de la Défense de la République de Mahabad.
Après leffondrement de celle-ci, en 1946,
il obtient lasile en Union soviétique pour
lui et un millier de ses hommes.
LE
KURDISTAN IRAKIEN
Quand un régime socialiste sinstaurant
en Irak, avec le coup dÉtat dAbdul
Karim Qasim en 1958, Barzani rentre au pays
et réorganise son parti, le PDK. Mais rien ne va
comme il veut. Les pouvoirs successifs siégeant à
Bagdad refusent lautonomie aux Kurdes. Des
affrontements armés prennent place. Le Kurdistan
échappe cependant au contrôle du gouvernement irakien.
En 1974, une guerre éclate sous Saddam Hussein.
Barzani obtient des soutiens de tous horizons : des
États-Unis, dIsraël et de lIran,
tous ligués contre lIrak. Mais il est défait
quand lIran sentend sur son dos avec Saddam
aux accords dAlger, en 1975, et que les autres
pays le lâchent. Après un court exil à Téhéran,
il ira mourir en 1979 aux États-Unis, conscient
de navoir été quun jouet aux mains
des puissances.
Son fils, Massoud Barzani, lui
succède à la tête du PDK. Il a cependant
un concurrent, Jalal Talabani, qui a fait sécession
au lendemain de la défaite pour créer son propre
mouvement, lUPK. Le
PDK et lUPK vont aller jusquà se combattre, le PDK se rapprochant de lOccident,
et surtout dIsraël, et lUPK de
lIran. La chute de Saddam, en 2003,
permet néanmoins lémergence dune véritable
autonomie du Kurdistan irakien sous Talabani et
Barzani forcés à cohabiter.
LES
KURDES EN IRAN
Depuis leffondrement de la République
de Mahabad, larrestation et lexécution
de son Président, Qazi Muhammad, le parti indépendantiste
kurde, le PDKI, nest jamais parvenu à réémerger.
Dune part parce que le conflit culturel apparaît
moins fort avec les Perses quavec les Arabes,
dautre part en raison de lefficacité des services
de renseignements, que ce soit sous le chah ou sous les ayatollahs.
Ces services infiltrent et corrompent
le PDKI à tous les niveaux. Celui-ci en est souvent
réduit à servir de passeur aux gens qui sexfiltrent
dIran par la Turquie, illégalement mais avec laccord
de Téhéran. Le PDKI joue le rôle de gardien
occulte de la frontière (3).
LES
KURDES DE TURQUIE ET DE SYRIE
Au Kurdistan turc, lUnion
soviétique a eu plus de chance avec son pion kurde, le
PKK. Créé en 1978, ouvertement sous la bannière
marxiste-léniniste, il lance une guérilla sanglante
contre la Turquie sous les ordres dAbdullah Öcalan,
un ancien agitateur politique. La réponse des autorités
turques est elle-même dune dureté effroyable,
larmée allant jusquà massacrer les
populations qui refusent de sengager dans ses milices anti-guérilla.
Le Président turc, Turgut
Özal, entame des négociations et obtient un premier
cessez-le-feu en mars 1993. Mais sa mort et lexécution
par le PKK de 30 soldats turcs désarmés
y mettent un terme. Öcalan, pour, sa part, avait
établi ses quartiers à Damas où il
bénéficiait de la protection du régime syrien.
On voit là encore comment les pays de la région,
eux-mêmes exposés à lirrédentisme
kurde, instrumentalisent les Kurdes de leurs voisins pour affaiblir
ces derniers.
En 1998, cependant, pressés
par les autorités turques qui menacent dune guerre,
ses hôtes syriens poussent Öcalan vers la sortie.
Il se voit refoulé de Grèce et dItalie.
Paria, en février 1999, il finit capturé
au Kenya par des agents turcs aidés entre autres
par les services israéliens.
Une accalmie relative prévaut
quelques années au Kurdistan turc. Mais, le 15
décembre 2015, Ankara déclenche une vaste offensive,
pour éliminer le PKK et les autres organisations
pro-Kurdes. Nous supposons dans cette affaire une volonté
du Président Recep Tayyip Erdogan de focaliser
lopinion turque sur un conflit, jouant sur le nationalisme
virulent de son peuple pour renforcer son pouvoir.
En 2003, un nouveau parti kurde
apparaît en Syrie, le PYD. Émanation du PKK,
déclarant lui aussi sa flamme marxiste, il est dirigé
par Salih Muslim. Dabord peu actif, il commence
à se faire connaître créant les YPG,
ses unités de combat, en 2011, au déclenchement
de la Révolution syrienne.
LALIBI
DE DAECH
Tout change avec lémergence
de Daech en Syrie, après lIrak, en
2013, et la proclamation du califat en 2014. Profitant
du départ des forces syriennes de la région kurde,
les YPG se focalisent contre les groupes islamistes puis plus
particulièrement contre Daech. Les forces alliées,
principalement les Américains, saisissent cette chance
: les YPG jouent pour eux le rôle dinfanterie
et deviennent le fer de lance de la contre-offensive contre Daech
qui tient lest de la Syrie.
On assiste à un processus identique
dans le nord de lIrak où les Kurdes sont utilisés
pour prendre Daech en tenailles avec larmée irakienne.
Résultat, dans ce pays, lorganisation islamiste
perd ses dernières positions le 11 octobre 2017.
En Syrie, Raqqah, la capitale de Daech, tombe aux
mains des YPG, renforcés par des Arabes, le 17.
Les Kurdes, singulièrement
le clan Barzani en Irak, se sont sentis forts de la dette
contractée par le reste du monde à leur égard.
Mieux, ils se savent soutenus par Israël qui convoite leur
pétrole. Depuis lattaque anglo-saxonne de mars
2003, et le renversement de Saddam Hussein, le Mossad
a renforcé ses liens avec les Barzani, allant
jusquà assurer la formation de leurs troupes délite
(4). Quant aux réseaux dinfluence
inféodés à Israël, ils font
une active propagande en faveur de lindépendance
des Kurdes dIrak.
Mais, une fois de plus, la logique
des États la emporté. Il existe entre eux
une solidarité instinctive contre les mouvements sécessionnistes.
Dans ce contexte, une fois de plus, les Kurdes ont été
utilisés comme une variable de la politique des puissances.
Ils ont beau changé de parrains et didéologie,
aux yeux des autres, ils restent des mercenaires.
Notes
(1) Nom de la dynastie fondatrice du premier Empire
perse, né au VIe siècle av. J.-C. et vaincu par
Alexandre le Grand deux siècles plus tard.
(2) Lire « Les étranges paradoxes de Sykes-Picot »
(3) Jalal Talabani
est décédé le 3 octobre 2017.
(3) Ceci repose sur les observations dAlain Chevalérias.
(4) Lire «
Visées
israéliennes sur le Kurdistan »
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